Comment vous est venu ce goût pour la photo ?
J’aime prendre le temps pour m’échapper et rêver, j’aime le silence et la solitude aussi. La photo est un moyen d’expression naturel chez moi qui me permet d’observer et de m’évader. Peut-être aussi ma façon de parler de « la vie la mort et l’amour ». Je me suis offert mon premier 24X36 d’occasion à 15 ans avec mon argent de poche, c’était un FUJICA ST 701 cellule silicium, je ne pouvais plus m’en séparer.

Comment a-t-il évolué ?
J’ai toujours été attiré par l’architecture, les gratte-ciel en particulier, les ponts également, autant de défis à la pesanteur. J’ai donc naturellement beaucoup photographié ces créations géantes. Ensuite j’ai cherché à aller plus loin, extraire du mystère et de la magie à partir de ces créations contemporaines offertes au regard de tous. Mon premier voyage à NY remonte à l’automne 1985, j’avais 25 ans, j’ai été tout de suite subjugué par cette ville, par sa force et son énergie. Elle reste ma première source d’inspiration, je ne savais plus où donner de la tête. Mes premiers argentiques abstraits, à base de reflets datent de cette époque. J’ai grandi avec le magazine PHOTO, et j’ai suivi les travaux de grands photographes dans la dernière partie de leur vie tels que Henri Cartier-Bresson, Robert Doisneau et Jacques-Henri Lartigue. J’ai cependant une préférence pour certains clichés de Lucien Clergue, peut-être pour cette touche abstraite avec laquelle il capte les êtres humains, notamment la féminité.

J’aime lorsque l’on regarde une de mes photos en se demandant ce qu’elle représente, mais je suis plus content encore si elle suscite une émotion. Je me nourri des autres, ce sont les autres qui m’inspirent, la vie c’est les autres n’est ce pas ! J’ai beaucoup travaillé récemment sur les reflets, les vitrines des villes, l’eau. D’ailleurs ma première expo aurait pu s’intituler « miroirs de la ville, miroirs dans la ville ».

Quel est le mode d’emploi pour être inspiré ou pour savoir qu’une nouvelle série peut exister ?
J’ai besoin de marcher, seul, et je chasse, je traque les images. Je me promène beaucoup dans les grandes métropoles. Ma prochaine expo rapportera des clichés pris à Paris, NY et Milan entre 2011 et 2014. J’ai toujours à porté de main mon NIKON et si possible ma moto pas très loin pour me porter rapidement d’un lieu à un autre. On dit que je déborde d’énergie et que je ne peux pas rester en place, mais avec la photo je peux rester immobile comme un pêcheur qui regarde son bouchon pendant des heures. J’attends le bon moment. Parfois aussi j’ai l’impression d’être comme un DJ qui recrée à partir des productions des autres, qui crée des ambiances, inspiré par le monde qui l’entoure. Je pense à cela en particulier sur mon travail autour des reflets et des vitrines, créations conjuguées de la nature et des humains.

La technique de vos photos est-elle un secret ?
Je n’ai aucun secret mais je citerais les deux mots-clé à la source de mon inspiration : le regard (que j’ai reçu) et la lumière (qui nous ai donnée). Ensuite je ne retouche jamais mes photos, je peux « shooter » cent fois le même sujet pour sélectionner LE cliché dans un second temps. Je pense à un groupe de photographes à l’époque du mouvement pictorialiste qui s’était baptisé le « group f/64 » et qui revendiquait une photo naturelle pas retravaillée en labo, sans aucun artifice ni truquage. Je n’ai pas de secret, j’ai reçu le regard que j’ai, je m’en sers pour m’exprimer, et le monde qui nous entoure est une source d’inspiration inépuisable ! J’aime ce cri du cœur de Christophe Colomb qui touche l’ile de Saint Domingue après sa traversée de l’Atlantique : « la vie à plus d’imagination que n’en portent nos rêves ! ».

Quelle est votre plus grande émotion en photo ?
A l’époque de l’argentique et quand je développais en labo mes propres photos noir et blanc, l’instant du révélateur était unique…Emotion aussi lorsque j’obtiens en image ce que j’avais imaginé, lorsque j’ai saisi le cliché que j’attendais. Mais aussi, et c’est la magie de la lumière combinée au prisme de l’objectif, lorsque la photo révèle quelque chose de plus par rapport au réel. J’aime aussi re-découvrir un tirage en grand format. Je suis émerveillé par les travaux de de Yann Artus-Bertrand et Sebastiao Salgado sur la planète Terre et la beauté de la nature.

Quel message faites-vous passer ?
C’est à ceux qui apprécient mon travail qu’il faut poser la question ! Si mes photos rejoignent ceux qui les regardent, si elles parlent aux autres et inspirent les autres, alors elles ne m’appartiennent plus tout à fait et cela me va très bien. Je transmets ce que j’ai reçu, je suis un passeur d’images. Je crois à cette idée que le monde est tel que je suis, pas tel qu’il est. Plus prosaïquement, chacun voit midi à sa porte, mes photos c’est ma façon de voir le monde. Il suffit qu’un autre se retrouve dans mon travail, et cela me rend heureux, je suis moins seul.

Que pourriez-vous citer comme mot pour décrire le monde que nous ne voyons pas ?
« L’essentiel est invisible pour les yeux » nous dit le Petit Prince, je crois également que l’essence des choses se laisse voir pour celui qui cherche…il y a dans l’art quelque chose qui dépasse le créateur et qui rejoint tout ceux qui veulent bien se laisser toucher.

Qu’est ce que la photographie a d’original par rapport aux autres arts ?
Son côté instantané, ce que Cartier-Bresson nomme « l’instant décisif ». Egalement son côté hyper-réaliste, sa capacité à reproduire parfaitement la nature. . Justement c’est cela qui m’interpelle, et je cherche à aller au-delà, à lire à l’intérieur du visible. Tout le monde a tenu un jour un appareil de photos entre les mains, c’est un moyen d’expression universel. Ce qui fait la différence n’est pas l’appareil, la technique embarquée et la qualité des optiques, mais l’oeil qui est posé derrière l’objectif. La photographie est un moyen d’expression artistique accessible au plus grand nombre, cette facilité permet l’émergence de nombreux talents et demande beaucoup d’exigence pour émerger justement…

Pourquoi le grand format, la couleur et la recherche de l’abstrait ?
La photographie est née dans la seconde partie du XIXème, à l’époque elle était en noir et blanc, petit format et parfaitement réaliste par rapport au sujet. A sa manière la photo a contribué à faire évoluer la peinture figurative, la peinture abstraite arrivant début XXème. Ce que je recherche avec la photo c’est précisément ce parallèle avec l’évolution de la peinture mais un siècle plus tard. Ainsi j’aime le grand format, la couleur et l’abstrait.

Comment avez-vous évolué par rapport à vos premières années comme photographe ?
La quête de l’abstrait et de l’esthétique demeure, en revanche je ne recherche plus aucun effet spécial. Les photos ne sont pas retravaillées en labo, elles sont prises sur le vif à la lumière naturelle et jamais retouchées. Le plus court chemin vers la beauté, c’est la simplicité. L’apport du numérique permet beaucoup d’essais en direct pour atteindre l’image recherchée au moment où elle est prise. L’argentique au contraire réservait toujours des surprises dans un second temps au tirage, et parfois des déceptions voire des regrets que l’on ne pouvait pas rattraper en labo. Mon œil est toujours attiré par les mêmes images (je pense à des clichés pris lors de mon premier voyage NY dans les années 80 sur des reflets de vitrine), je peux travailler sur des thèmes variés mais finalement je reviens toujours vers quelque chose qui se rapproche de l’abstrait, c’est plus fort que moi. C’est un peu comme la mer, toujours différente mais toujours la même.

Vers quels thèmes allez-vous vous orienter dans le futur ?
En fait je pense approfondir la thématique de la « déconstruction » : je souhaite mettre en pratique dans le domaine de la photo une théorie chère au grand économiste Joseph Schumpeter intitulée « la destruction créatrice ». Il y a cent lieux qui m’attendent sur Terre, je suis impatient de les revisiter avec un prisme différent et d’en extraire des figures abstraites à la fois esthétiques et émouvantes.

Qu’aimeriez-vous que l’on dise à propos de cette première exposition ?
Je serais heureux que mes photos rejoignent ceux qui les regardent et qu’elles leur parlent. J’aimerais que d’autres s’approprient mes photos tout simplement parce qu’elles exprimeront une sensibilité partagée. Exposer s’est se mettre à découvert, s’exposer…Si d’autres apprécient mon travail c’est aussi parce qu’ils comprennent ma démarche, et si je suis compris cela me suffit. Les photos parlent à ma place et le silence est d’or
n’est-ce-pas ?
 
     
 
 
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